L'article No 64 du «Zakonik», du Code des Lois d'Etienne Duchan (1349 et1354), stipule «Que la filandrière restée veuve soit libre tout comme le prêtre». Cettedisposition, l'unique du Zakonik concernant une femme et même en rapport avec unmétier, pose des questions d'ordre économique et social, d'autant plus qu'elle émaned'un texte juridique de grande importance (p. 147sq.).L'auteur place le cas de la filandrière dans son contexte socio-économique. LaSerbie a connu à cette époque un grand essor économique, dû essentiellement àl'exploitation des mines; les possibilités commerciales qui en découlent ont attirél'intérêt des villes marchandes étrangères. L'importation des produits miniers dansles marchés européens a été suivie par celle d'autres produits serbes, parmi lesquelsétaient les tissus. Dans ces conditions la disposition sur la finandrière veuve acquiertune importance particulière (p. 149-150). L'étude du statut de la femme, et surtout dela veuve, à Byzance et en Europe occidentale au moyen âge tardif contribuerait àmieux interpréter le cas de la filandrière et à scruter les éventuelles influences qued'autres sociétés et systèmes économiques ont exercé sur ce point en Serbie.À Byzance, au cours de son histoire millénaire, le statut de la femme a évolué, enparticulier depuis la fin du Xle siècle —grand tournant dans l'histoire de Byzance—et à l'époque des Paléologues, en raison de grands changements politiques et denouvelles conditions économiques. Les femmes de l'aristocratie, propriétaires degrands domaines, ont eu une importante activité économique; elles géraientpersonnellement leur fortune et participaient à des entreprises commerciales. Lesfemmes de la classe moyenne et inférieure pouvaient exercer divers métiers, enparticulier ceux concernant la nourriture et l'habillement (p. 150-154, 158-159).Mais le métier le plus fréquent concernait le tissage et les travaux adjacents,occupation traditionnelle des femmes dans toutes les époques et sociétés, laquelleselon les circonstances a évolué en métier — un métier même bien organisé (p. 154-157). La femme pouvait encore devenir médecin (ίατρίνα, ίάτραινα), un métier bienrespecté, qui lui attribuait certains droits exceptionnels (p. 157-158). Quant aux veuves, aristocrates, bourgeoises ou paysannes, elles se voyaient avoir, après la mortde leur mari, des droits et des responsabilités économiques augmentées: la veuvemère de famille, à part ses activités commerciales, avait le droit de gérer sa proprefortune et celle de ses enfants. La paysanne veuve était légalement considéréecomme chef de famille (contrairement à la femme mariée qui ne figurait jamais entête d'un ménage) et avait de droits et d'obligations reconnus par le fisc (p. 159-162). En somme, à Byzance au moyen âge tardif, la femme, malgré les différencesentre classes sociales, entre centre et périphérie, entre ville et campagne, avait lapossibilité d'exercer divers métiers et de prendre part actif à la production et àl'économie de l'Empire. Cependant, elle n'avait pas de perspective de promotionsociale basée sur sa profession et ne pouvait pas assumer une fonction publique nidevenir juge ou banquier (p. 162).En Occident, à partir du Xle-XIIe s., la croissance démographique, les progrèstechniques, le grand développement du commerce et l'essor des villes, ainsi que lesguerres sans répit qui ont réduit l'activité des hommes, ont influencé le statut de lafemme. Dans les villes, les femmes exerçaient divers métiers, faisaient ducommerce, entretenaient des boutiques - ateliers de tissage dans la plupart des cas;les conditions de leur travail étaient bien précisées par les autorités de la ville. Quantaux veuves, elles avaient acquis certains droits qu'elles n'avaient pas du vivant deleur mari; dans certaines villes existaient même des lois déterminant le «droit de laveuve». La participation de la femme, mariée ou veuve, à l'artisanat et au commercelui donnait le droit de «citoyen» (cives). À l'époque en question les habitants desvilles jouissaient d'un statut d'hommes libres, le travail et les activités économiquesaussi bien des hommes que des femmes étaient régis par des règles précises. Carl'essor rapide des sociétés urbaines ont suscité de façon urgente des problèmesd'organisation et ont nécessité la formation des cadres institutionnels et la réglementationdes activités économiques (p. 162-166).En Serbie, à la suite du développement économique du pays et de la présencedes colons et des marchands étrangers, certaines villes se sont évoluées en unitéséconomiques indépendantes de la grande propriété et jouissaient d'un statutprivilégié. Ses habitants (que le Code appelle gratsanin = citoyens), serbes etétrangers, marchands, artisans, ouvriers et paysans, étaient des personnes libres.C'est dans le cadre du statut des villes que l'on doit placer la filandrière veuve. LeZakonik compare sa liberté à celle du prêtre, probablement pour déterminer lesconditions de cette liberté. Les dispositions du même texte juridique sur le prêtrenous amènent à penser que la filandrière, après la mort de son mari, avait le droit deposséder une petite fortune (p. ex. la boutique héritée de son mari), que personne nepouvait la chasser de son travail et que celle-ci ne pouvait pas quitter le lieu où ellevivait et travaillait (p. 166-171).En conclusion, nous constatons que les sociétés médiévales avaient la possibilité d'évoluer en raison des exigences du temps. À cette évolution le Xle s., aussi bien àByzance qu'en Occident, constitue une étape décisive, qui marque le début degrands changements économiques et sociaux. À Byzance, qui avait une longuetradition historique, ces changements se sont effectués à cette époque avec unrythme accéléré mais sans secousse. En Occident, les changements étaient plusprofonds: ils ont transformé la structure des sociétés urbaines et ont créé denouveaux facteurs économiques; ces changements ont entre autres conditionné laplace de la femme. En Serbie, les activités des femmes étaient bien limitées, encomparaison avec celles à Byzance et en Occident; en Serbie on n'atteste ni lagrande variété de métiers que les femmes pouvaient exercer à Byzance nil'organisation institutionnelle des villes occidentales (p. 171 ).